L'Auteur Jean-Louis Sanchez...Jean-

Publié le par Evy

L'Auteur Jean-Louis Sanchez...Jean-

LE SANGLIER DE PHILEMON

 

Aux chasseurs de la famille......

Un cers glacé chargé de la fraîcheur des crêtes pyrénéennes, du Canigou au Saint Barthélémy, courait dans les ruelles de Véraza charmant petit village de la Haute Vallée de l’Aude situé en dessus d’Alet Les Bains, dont les habitants sont réputés pour leur générosité et leur sens de l’hospitalité.

Après avoir traversé le barri  (quartier) d’en haut, le vent arriva sur la placette du village et s’amusa à décrocher quelques feuilles jaune pâle, marbrées de rouille, d’un platane centenaire qui virevoltèrent lentement et vinrent se poser doucement sur l’asphalte. Continuant sa progression la bise s’attaqua à un groupe de chasseurs et s’immisça sous leurs manteaux en les faisant frissonner.

Philémon semblait insensible à cette fraîcheur matinale et se disputait avec le capitaine:

- Cela fait plus de trois ans que vous évitez de me poster au « pas du loup »! Aujourd’hui, je ne me laisserai pas faire et j’irai coûte que coûte!

Le capitaine, un ancien du maquis de Picaussel qui avait baroudé en Indochine, n’était pas habitué à voir son autorité ainsi mise en cause et marmonnait dans sa barbe. Toutefois, il convint intérieurement que la requête de Philémon était fondée et qu’il se devait de réparer une injustice.

- D’accord Philémon, tu iras au « pas du loup ». Jean et Noël, vous l’accompagnerez et vous prendrez les deux postes situés en dessus.

Philémon exultait. On le prenait souvent pour un imbécile mais, en se rebellant, il leur avait montré, à tous ces tartarins d’opérette, ce dont il était capable. Il était tellement euphorique, qu’il n’eut aucune peine à suivre ses deux jeunes compagnons de chasse malgré la charge de son sac à dos et la dureté des raidillons à gravir.

Il atteignit rapidement le poste convoité, et il dut quitter avec regrets ses accompagnateurs. Lorsqu’ils se séparèrent, Noël le plus espiègle des deux lui lança:

- J’espère que tu n’as pas pris une gourde trop pleine!

Philémon ne répondit pas à cette discourtoise insinuation et toisa son interlocuteur avec mépris d’un air qui signifiait: « Toi le morveux occupe toi de tes affaires! ».

Pendant que les deux jeunes gens continuaient leur ascension, Philémon s’installa précautionneusement derrière un gros buis ventru de l’extérieur et creusé de l’intérieur. Les chasseurs l’avaient si souvent piétiné qu’il s’était adapté, par tropisme, aux formes du corps humain.

Le pas du loup! Le plus beau poste de la région, situé à un carrefour stratégique où se croisaient deux chemins très fréquentés. De là, on supervisait toute la chasse et l’on était réceptif au moindre bruit qui émanait de la vallée.

Philémon chargea son Darne de deux balles, puis, il épaula visant un point du croisement. C’était ici, pour sûr, que l’Honoré avait réussi son doublé sur deux sangliers de plus de cinquante kilos! Il abaissa son arme, avisant un petit  furol  (passage à gibier) il épaula à nouveau en s’interrogeant. Et si c’était là que la grosse laie de près d’un quintal avait échappée au Baptistou? Il recommença la manoeuvre un nombre incalculable de fois, enfin, il se jugea fin prêt. Le sanglier pouvait déboucher d’où il voulait, il aurait de toute façon affaire à lui!

Pour se rasséréner, il entrouvrit son sac à dos, se saisit de sa gourde et but  à galet (à la régalade) une grande rasade de vin rosé qui lui réchauffa le coeur.

Le vent avait tourné brutalement comme cela arrive si souvent dans ces contreforts occitans. Un marin tiède et gras, porteur des senteurs de thym, de romarin, de lavande, de fenouil sauvage de la garrigue des Corbières voisines, succédait au vent du nord.

Philémon huma l’air goulûment en s’imprégnant de tout son être de cette douceur méditerranéenne et, par crainte de se déshydrater, il but longuement une deuxième rasade de l’élixir si délicatement parfumé.

Il écouta quelques instants espérant entendre le lancer des chiens, mais, pas un bruit susceptible de troubler sa paisible quiétude ne montait de la vallée. Alors, il se saisit à nouveau de son fusil et mit en joue des sangliers imaginaires. Jean qui était placé juste au-dessus de lui, l’observait avec stupeur et le voyait tantôt épauler son arme, tantôt lever sa gourde face au soleil levant...

Il était maintenant près de onze heures du matin; l’astre avait presque achevé sa courbe ascensionnelle et dardait ses rayons sur Philémon qui, à force de se désaltérer, voyait son appétit grandir. Il décida donc d’ouvrir la  saquette (contenu de la musette) que son épouse, la douce Clarisse, avait confectionnée avec amour. Il déplia son Laguiole et se mit à taster (goûter) le tripoux, ce boudin noir fait maison qui embaumait les plantes aromatiques et qui se mariait à la perfection avec le rosé fruité. Puis il goûta un morceau de  cambajou (jambon), une relique du dernier cochon saigné la saison dernière qui s’était bonifié en vieillissant. Enfin, il attaqua avec gourmandise la fromette, cette tome de vache mitonnée patiemment par son épouse et qui fleurait bon le lait fermier.

Il accompagna sa dernière bouchée d’une nouvelle gorgée de breuvage qui embrasa ses papilles. Tout en refermant son couteau, il laissa sa langue s’égarer, de manière gourmande, vers les encoignures de ses lèvres, afin de recueillir une dernière goutte du précieux liquide.

Il était bien le Philémon!

Le soleil était maintenant à son apogée et l’entourait d’une sorte de cocon moelleux. Le marin soufflait sur son visage un air iodé, doux et apaisant....

Il était bien le Philémon!

Il s’allongea, positionnant sa tête à l’ombre ténue d’un argelats (ajonc) qui se parait de tardives fleurs d’or, pour éviter toute insolation et il se détendit lentement. Alors, tout doucement, il franchit la frontière. Frontière entre le temporel et l’intemporel; le réel et le virtuel .....

Il n’était plus dans cette somptueuse forêt de châtaigniers dont le soleil automnal mettait en exergue les ocres, les pourpres ou les bruns prononcés. Il ne sentait plus l’odeur âcre de l’humus du sol, ni celle plus épicée des mycéliums de cèpes ou de girolles. Il ne percevait plus les jacassements des  agasses  qui se querellaient sans cesse pour la possession d’un hypothétique territoire.

Il était là-bas, près de la grande bleue, dans ces pinèdes du massif de La Clape, bercé par le chant de milliers de cigales et cigalons. Il respirait à plein nez l’odeur de la résine qui se mêlait aux senteurs de l’étang de l’Ayrolles tout proche, formant un mélange capiteux. Les teintes rubis des plumages des flamants avaient remplacé le bleu roi de la parure des geais....

Il était bien le Philémon!

Il n’entendit pas Clairon, un vieux limier au corps couvert de cicatrices, lancer un énorme solitaire au fond de la vallée. Il ne perçut pas plus la symphonie de la meute d’où émergeaient les graves et les aigus, monter crescendo vers le pas du loup. Il fut indifférent aux cris de détresse des merles et au bruit des broussailles qui gémissaient sous la charge du cochon sauvage.

Il était bien le Philémon!

Ce fut le grelot de Finette, une petite beagle qui avait pris du retard sur le reste de la meute qui le sortit de sa torpeur. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit Jean qui le dévisageait, hilare, tandis que Noël tenait dans les mains sa gourde flasque ou perlait une larme vermeil de vin rosé.....

 

 

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