« Mon premier réflexe fut de l’insulter : s’arrêter à la sortie d’un virage
presque au milieu de la chaussée sur cette route si étroite de montagne,
relevait de l’inconscience la plus totale et de la mise en danger d’autrui .
Mais quand je m’arrêtai à sa hauteur pour lui dire ce que je pensais de son
comportement, je m’aperçus que la conductrice, debout à côté de son véhicule,
la main appuyée sur la carrosserie, était en train de vomir, pliée en deux
par l’effort ! « Vous avez besoin d’aide ? » lui demandai-je un peu contrit.
Elle se retourna et essuyant sa bouche barbouillée avec la manche de son
vêtement, elle me jeta un « fous-moi la paix ! », hargneux. Il ne m’en fallait
pas moins pour me sortir de mes gonds : j’avais failli percuter sa voiture,
je lui proposais du renfort et je me faisais insulter !
Coup de frein, manœuvres rapides, je me garai et c’est à pied que
je me dirigeai vers elle ! C’est alors que je la vis vraiment : vieille et décharnée,
la femme qui se tenait devant moi semblait si faible que sans réfléchir,
je la pris par le bras pour la forcer à s’asseoir sur le talus qui bordait
la petite route de campagne. Je m’employais à la détailler :
Elle était drôlement habillée : sa salopette de toile verte, trois fois
trop grande pour elle, semblait tout droit sortie de la garde-robe d’un clown.
Dessous, elle portait une jolie chemise de soie grège qui tranchait
avec la rusticité de la toile de son surtout et, aux pieds des bottes
de caoutchouc coupées au couteau à la hauteur des chevilles,
lui dessinaient de grandes traînées rouges dues au frottement du caoutchouc
sur sa peau nue. Ses cheveux poivre et sel n’avaient pas dû recevoir
le service d’un peigne ou d’une brosse depuis longtemps !
Ses pommettes hautes placées, sa peau cuivrée et ridée par le soleil
lui donnaient, comme une vague physionomie mongole. Elle s’énerva quand j’entrepris de garer sa bagnole
Mais le fait de s’agiter, réactiva les spasmes de son estomac et
elle se remit à rendre. « Maintenant ça suffit » lui rétorquai-je
« je ne peux pas vous laisser comme ça, sur le bord de la route entrain
de vomir tripes et boyaux ! »
« Vous allez monter dans ma voiture et je vais vous conduire chez vous ! »
C’est alors qu’elle me fixa de ses yeux d’un bleu si clair qu’on croyait
voir le ciel dedans, et grommela « qui es-tu, toi pour vouloir
prendre soin de moi et me donner des ordres ? »
Et d’une voix saccadée par l’énervement elle éructa :
« Je vomis l’écriture tu ne comprends pas ….
j’ai une indigestion de mots, de phrases, de termes et de vocables.
Je gerbe des lettres comme on gerbe de la nourriture.
Je sais je ne suis pas raisonnable ; à mon âge je devrais lever le pied
mais c’est plus fort que moi : écrire est ma vie, l’essence de moi-même,
ma destinée sur terre, le pourquoi ma mère m’a enfantée .
j’ai griffonné toute la nuit et voilà à présent je vomis mon manuscrit,
mais à chaque fois c’est pareil dans quelques heures j’irai mieux, tu sais ! ».
Ajouta-t-elle un peu calmée.
J’avais à faire à une folle ….j’allais la remettre dans sa voiture et poursuivre
mon chemin !
Mais elle m’agrippa le poignet et dit d’une voix sourde un rien menaçante
« évidemment tu ne me crois pas mais l’écriture est comme un long
enfantement et les douleurs de l’accouchement sont identiques ! »,
elle me retenait le poignet de ses doigts maigres aux ongles noirs
et ce contact sec me déplut .D’un geste brusque, je me dégageai de l’étreinte
de ses phalanges serrées qui me faisaient songer à une serre d’oiseau,
et lui rétorquai en colère :« Il suffit, on n’est pas là pour parler littérature ! »
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