Un extrait du livre " Victor " de L'Auteur Bernard Cazeaux
VICTOR
/image%2F4492248%2F20201119%2Fob_2f1460_image-4492248-20201005-ob-393f2c-12094.jpg)
1
Je m’appelle Charles Degaldes. Lui, là, sur l’écran de la télévision, c’est Victor Degaldes. Je devrais dire mon père comme tout le monde, mais je n’y arrive plus ; alors papa, n’en parlons même pas, du moins plus depuis que j’ai perdu ma naïveté enfantine.
Égal à lui-même il plastronne, torse bombé, bronzé, le cheveu brillant avec ce qu’il faut de désordre dans les mèches pour donner ce côté baroudeur chic qui émoustille tant de femmes. Un bellâtre aurait dit ma grand-mère avec les mots de son temps. Le genre de baroudeur qui ne prend son 4x4 Range Rover que pour monter sur les trottoirs en ville et rouler dans l’allée de notre propriété campagnarde pourtant toujours bien entretenue ; mais il adore ce côté gentleman-farmer, très famille royale britannique.
Il sourit avec ce qu’il faut d’œillades pour attirer les regards. Un sourire digne d’une publicité de dentifrice, il ne manque que l’étoile brillante rajoutée sur une dent pour donner l’illusion d’un reflet du soleil. Un sourire étudié, marketing, offert à tous les flashs des appareils photo avides qui crépitent, tels des éclairs d’un soir d’août, préludes à un orage médiatique, à un tonnerre de gloire, à une averse de compliments.
Alors que la vie dont il rêvait lui donne sa récompense, il minaude, il joue à l’étonné, au « je ne m’y attendais vraiment pas », « c’est une grande surprise », « les autres étaient tellement bons » (c’est dire si le mien est excellent : le connaissant assez bien, je traduis là sa pensée intime). Avec par moments ce qu’il faut d’air de vierge effarouchée - la bouche en cul-de-poule et le sourcil levé - chahuté dans la houle humaine qui ondule ; bousculade savamment orchestrée pour donner corps à l’évènement littéraire de l’année, sous le porche de ce grand restaurant parisien. Va-t-il se pâmer ? Non, ce n’est pas son genre.
Si la caméra n’était pas placée en hauteur on ne le verrait pas derrière la forêt de bras hérissés d’appareils photo, de micros et magnétophones tendus avec fébrilité vers l’auguste bouche pour ne rien manquer de la déclaration de l’heureux et tout frais lauréat de cette année littéraire. Il est au pinacle, sous ses airs de faux-cul ébahi il jubile, je le sais, je ne le connais que trop. Bien que sachant à l’avance quels mensonges il va débiter, j’attends avec impatience ses paroles pour en avoir confirmation. Les journalistes agglutinés l’interpellent à coup de «Victor», comme s’ils étaient intimes, l’assaillent de questions, certaines aussi profondes que l’inévitable « alors, qu’est-ce que ça vous fait d’avoir gagné ?». A-t-on déjà entendu quelqu’un dire qu’il est déçu ? Mais il y répond sans se départir de son sourire, avec bienveillance, humilité, humour. Disparue sa condescendance pathologique, envolées ses flèches verbales toujours bien ajustées pour frapper ses cibles où il faut, pour blesser… jusqu’à tuer. Pas d’humilité et d’humour pour nous, seulement des humeurs.
Ses premiers mots sont identiques aux dédicaces de ses livres : « Je remercie avant tout mon épouse, Diane, et mon fils Charles, ma plus belle œuvre, dont le soutien et l’amour sont les bouées qui m’empêchent souvent de sombrer dans le doute et la résignation.» Puis viennent les mots travaillés pour paraître spontanés sur « le travail acharné devant la feuille blanche, blanche comme les nuits de doute pendant lesquelles l’inspiration s’enfuit et nous abandonne pantelant, pour mieux revenir en catimini de son escapade telle la Pomponette du boulanger de Pagnol, et qu’on accueille à nouveau avec soulagement malgré l’angoisse de sa fugue. L’inspiration, l’amante volage de l’écrivain, qui accable et qui comble au gré de ses humeurs, à laquelle on pardonne tout dans l’espoir de la conserver près de soi.»
Je me souvenais de ses fadaises hypocrites. Malgré le temps ma mémoire ne m’avait pas trahi. J’éteignis le vieux magnétoscope et la télévision. La cassette n’avait pas trop mal supporté le temps. Il est vrai que je ne l’avais regardée qu’une ou deux fois, et ma mère sans doute jamais. À l’époque elle avait assisté en direct à la consécration de Victor au Journal de 13 heures, quinze ans plus tôt. Elle ne la regarderait jamais plus puisqu’elle était morte depuis dix ans. Sans savoir ce qu’aujourd’hui je savais.
Une Idée cadeaux pour les fêtes ou pour le plaisir dédicacé
Un grand choix de livres de l'auteur cliquer sur le lien ci-dessous
http://auteurs-d-occitanie.over-blog.com/search/bernard%20cazeaux/