Une nouvelle " Un Pastisopathe " Jean-Louis Sanchez..

Publié le par Evy

Une nouvelle " Un Pastisopathe "  Jean-Louis Sanchez..

 

Un Pastisopathe

 

A Jep bien sûr et à sa tendre épouse, ainsi qu’à notre ami commun Robert qui aurait tant aimé lire cette nouvelle.

 

En apparence, Jep (diminutif de Joseph en Catalan) avait tout d’un être normal en dépit d’un arbre généalogique chargé. Si nous évoquons ses ascendants, c’est parce qu’il se targuait d’être petit-fils de curé et fils de communiste! Le fait est que ses ancêtres étaient d’authentiques catalans qui lui avaient légué un accent rocailleux au formidable roulement du R.

Ses origines n’avaient point nui au personnage puisqu’il avait hérité de son père un grand humanisme ainsi que des idées très progressistes et de son aïeul, une immense ferveur qu’il mettait dans l’accomplissement de tous ses actes, y compris les plus communs.

Grâce à cet apport ancestral, il était entré dans l’administration où il avait réussi un parcours professionnel parfait, entièrement basé sur un travail acharné, malgré un environnement difficile qui faisait que la servilité était souvent privilégiée aux dépens de la compétence... 

Ce fut vers le milieu de sa vie, alors qu’il était déjà un honorable père de famille, que se produisit la rencontre qui devait bouleverser son existence. Cet événement eut lieu sur la place d’un petit village catalan, inondée d’un franc soleil estival, le jour de la fête locale et au rythme enjoué de la sardane. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Jep n’avait  jamais goutté au pastis, breuvage méridional par excellence qui fait depuis plus d’un siècle le bonheur des habitants du sud de la Loire. 

Fonctionnaire consciencieux, tenu au devoir de réserve, il s’était jusqu’à présent contenté d’apprécier les formidables vins du terroir catalan: les côtes du Roussillon et les vins liquoreux  consommés à l’apéritif et qui ont pour noms Maury, Rivesaltes ou Banyuls. Ce jour-là, arguant de l’extrême chaleur et prétextant des vertus hydratantes de la boisson, notre homme se hasarda à commander, sous le regard désapprobateur de son épouse, un verre de pastis.

Ce premier contact envers cette boisson provoqua sur le personnage un choc émotionnel d’une extraordinaire densité qu’un vulgaire petit chroniqueur de province ne saurait décrire (et un chroniqueur parisien.... encore moins!). Toujours est-il que sur la place se produisit un coup de foudre et ce fut le début d’une intense histoire d’amour. Notre homme ne tarda pas à renouveler cette expérience bouleversante et très vite, il rattrapa son retard dans le domaine de l’étude du pastis. Il apprit à connaître les différentes marques: le goût de réglisse du Ricard, la légère amertume du Duval ou le vert prononcé du Pernod. Tel un professionnel, il voulut approfondir encore plus son savoir, et, pour cela, il fit un pèlerinage en   Provence où il découvrit des marques peu connues comme le Janot ou plus artisanales encore qui exaltaient toutes le soleil méridional.

Il prit son temps, un temps considérable et un jour il prononça un verdict longuement réfléchi. Il ne fit pas comme les juges modernes qui rendent quinze jugements dans la même journée. Il pesa le pour et le contre, contrôla la régularité des dosages, essaya de décrypter le parfum idéal, puis, il fit son choix: son pastis préféré, c’était le 51. A coup sûr, l’équilibre de tous les ingrédients s’harmonisait à la perfection pour former, sous les papilles une symphonie « pastissale ». Cette sentence délicate rendue, il décida de s’y conformer jusqu’à la fin de sa vie et d’y faire le moins d’entorses possibles (sauf cas de force majeure!).

La pénible décision assumée, commença alors pour lui une période de réel bonheur, consommée, bien sûr, avec modération. Il fallait être un de ses plus fidèles amis pour deviner l’émotion qui l’étreignait à la vue des premiers frémissements du breuvage. Il versait son eau parcimonieusement et contemplait avec béatitude le  léger trouble qui envahissait le fond de son verre. Parfois,  parodiant les évangiles qui prétendent que Dieu est amour, il n’hésitait pas à affirmer: Dieu est anis! D’autres fois, il avait la sensation de voir la vierge apparaître au fond de son verre.

Il ne supportait pas la goujaterie! Le manque de respect des  buveurs qui engloutissent leur breuvage d’un trait, sans la moindre trace de tendresse, l’horripilait. Il leur jetait des regards hostiles tout en s’imprégnant des senteurs les plus subtiles de la boisson, de la farigoule au fenouil, de la réglisse à l’anis étoilé...

Cette ferveur inconsidérée, héritée sans doute de son aïeul, faillit lui jouer un mauvais tour vers la fin de sa carrière. Il avait un contentieux sérieux avec un de ses puissants supérieurs hiérarchiques et les locaux administratifs résonnaient de son timbre puissant lors des différentes algarades qui l’opposaient à ce sévère personnage peu enclin à l’humour. Un jour qu’il était invité au pot de départ à la retraite d’un de ses collègues de travail, il fut pris d’une faiblesse coupable. Etait-ce la surcharge de travail? La nostalgie de devoir quitter un proche que l’on a longtemps connu auprès de soi? Ou un moment d’égarement dont les fonctionnaires - même les plus respectables - peuvent parfois être victimes? Toujours est-il que l’ami Jep rendit un hommage un peu trop appuyé à la bouteille de 51 qui était proche de lui. Or, les boissons anisées ont un important pouvoir diurétique qui obligea notre grand buveur à aller se soulager plusieurs fois. Mais celui-ci dédaigna les toilettes qui étaient à sa portée pour uriner abondamment sur la moquette du supérieur honni. Cette action, pour le moins incongrue, ne tira fort heureusement pas à conséquence car l’administration n’avait pas les moyens budgétaires nécessaires, carbone 14 ou tests génétiques, à l’identification du coupable.....

Ce fut à l’heure de la retraite sonnée que se produisit la révélation! Comme tous les sexagénaires, Jep avait d’importants problèmes avec ses articulations liés à l’arthrose ou aux rhumatismes. Ce jour-là, il sortait totalement déprimé d’une consultation auprès d’un éminent spécialiste qui venait de lui conseiller une opération urgente de son épaule totalement bloquée au point qu’il ne pouvait bouger son bras. Aussi, décida-t-il, pour se réconforter, d’assister à une petite sauterie organisée par la commune où il résidait. Après avoir consommé son troisième pastis qui l’avait rendu plus gai, il se présenta sur la piste de danse. L’orchestre entreprit un des anciens succès du célèbre Johnny Hallyday «souvenirs, souvenirs». Au bout de quelques minutes, Jep fut pris de sautillements et se surprit à taper dans ses mains en entonnant en catalan:

 

Si no vols treballar          Si tu ne veux pas travailler

Fes-te soldat o capellà       Fais toi soldat ou bien curé

 

I traparas res de tan bo      Et tu ne trouveras rien d’aussi bon       

El pastis del Rossello.       Que le pastis du Roussillon.

 

 Il se tourna vers son épouse qui lui fit remarquer sa guérison miraculeuse. 

 

Quelqu’un de normal se serait sûrement arrêté là mais Jep crut dur comme fer avoir découvert une nouvelle médecine douce. Après les homéopathes, les ostéopathes, il se baptisa pastisopathe et, en homme très généreux, il décida de se mettre au service de l’humanité toute entière. Malheureusement, il dut vite déchanter car son invention n’eut d’effets que sur lui. Les autres humains, moins respectueux que lui envers le quasi-divin breuvage, ne pouvaient bénéficier de ses bienfaits. Car, la pastisopathie est une science délicate, n’apportant le bonheur qu’à ceux qui le méritent.

 

Vexé par cet échec, l’ami Jep s’est retiré en Cerdagne catalane, tout près de l’Andorre, gros fournisseur de matière première, où il coule une retraite heureuse en profitant tout seul des vertus de sa découverte scientifique. 

 

 N B: L’auteur et l’imprimeur tiennent à préciser que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et que les boisons anisées, quelles que soient leurs marques, doivent être consommées avec modération!

 

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jean-louis sanchez - Auteurs Occitans & Catalans (over-blog.com)

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